Eduard est une personne banale.

Je sais, c'est courant de commencer une description physique ainsi, et vous en avez peut-être marre de lire ce genre de récits, mais c'est ainsi ; que dire d'autre à part qu'il est banal ? Aucun signe ne permet de savoir qu'il est une Nation, rien de distinctif par rapport aux autres Baltes, rien chez lui ne sort de l'ordinaire. Dans une foule, on ne le remarque pas. A la Base, on ne doit pas vraiment le remarquer non plus, parce qu'en plus d'avoir un physique de monsieur tout le monde, il reste en général plutôt discret. Dans un coin de la pièce. A pianoter sur son précieux laptop. Silencieux.  Mais si vous vous approchez un peu de lui, si vous tenez vraiment à engager la conversation, si vous vous intéressez à ce personnage secondaire dans cette guerre contre les mutants, alors très bien, je vous écrirai ce que vous voyez lorsque vous posez vos yeux sur lui.

Lors d'une première impression, vous remarquerez que cet Estonien, à l'apparence d'un jeune adulte, n'est pas d'une taille impressionnante. Son mètre soixante-quinze reste dans la moyenne européenne. De ce fait, et comme je risque de le répéter à plusieurs reprises : il est normal. Le fait est qu'avec lui, tout est dans la norme. Sa peau claire, semblable à de la porcelaine, n'est pas chose étonnante quand on connait le climat et la position géographique de l'Estonie. Dernièrement, cette peau habituellement immaculée a, à plusieurs occasions, été salie, poussiéreuse, abîmée. Les mutants ne font pas de cadeaux, pas plus que le manque de vivres et d'hygiène qu'engendre la survie. Malgré cela, il aime rester propre sur lui et, ainsi, il arrive à garder un air digne, des vêtements aussi impeccables que possible, une allure fière. Cela le rassure et l'aide à cacher sa peur pourtant si grande.

Il n'est pas d'une carrure imposante, au contraire. Je ne le qualifierai tout de même pas de crevette ou de maigrichon, disons qu'encore une fois, il est très moyen. Il n'est pas vraiment musclé et semble ne pas avoir une seule parcelle de graisse en trop, juste assez pour qu'on ne puisse pas apercevoir ses os. Cependant, cela pourrait venir à changer si les rations continuent à diminuer. Il est le genre d'homme yo-yo, qui prend du poids aussi facilement qu'il en perd. Ces temps-ci, la tendance est plutôt la perte de poids que la prise. C'est qu'il faut partager le peu de nourriture qu'il arrive à s'octroyer. Peu intéressé par la question de si ses côtes sont apparentes ou non, il tend à donner sa part aux plus jeunes plutôt que de la garder pour lui. Pour le moment, il se porte aussi bien qu'on puisse se porter dans la Base.

Si par ailleurs il remarque votre présence, et parce qu'il est une personne polie, il décrochera ses yeux de son écran pour les poser sur vous. Vous pourrez alors constater de leur couleur émeraude, légèrement voilée par les carreaux de ses lunettes. Eduard est myope, et s'estime vraiment heureux que lors de son périple pour atteindre la Base, ses verres ne se soient pas abîmés. Un sourire étirera ses fines lèvres, et un air fier se dessinera sur les traits de son visage, tout aussi fins. Ses sourcils sont fins. Ses cils, courts, sont également fins. Il est comme ça, tout en finesse. Inutile alors de préciser que ses cheveux, d'un blond cendré, sont tout aussi fins. Une frange couvre son front, tandis qu'à l'arrière de son crâne, sa chevelure est plus courte, laissant sa nuque exposée à l'air libre.

Vous remarquez également ses mains, posées sur son clavier. Elles sont grandes et, ce n'est plus vraiment une surprise, fines. Ses ongles sont courts et impeccables, ce qui n'était pas le cas lors de son arrivée. Vous reculez à présent, après avoir fait un brin de causette avec le principal intéressé. Vous avez pu entendre sa voix grave et assurée, qui semble être celle d'un homme qui vient à peine de finir de muer. Il est poli, et parle de façon plutôt soutenue. Vous ne retiendrez qu'une leçon de cette rencontre : Eduard est un homme qui a l'air sûr de lui. Mais ce n'est qu'un air.

Au cours de plusieurs discussions, vous avez pu vaguement déceler le comportement social d'Eduard. Vous avez remarqué qu'il avait l'air très sûr de lui et de ce qu'il dit, qu'il a toujours le menton levé quand il affirme quelque chose, et qu'il se le tient quand il réfléchit. C'est un homme au tempérament calme et posé, réfléchi, qui est plus du genre à négocier avant d'en venir aux mains que l'inverse. C'est la face visible de sa personnalité, ce que tout le monde peut deviner et voir, ce qu'il laisse paraître. Je vais vous expliquer ce qu'il en est vraiment, et ce qu'il  se passe dans les profondeurs de son esprit.

Sachez d'abord qu'Eduard est un homme peureux. Il le cache du mieux qu'il peut. Il ne veut surtout pas que ça se sache. Mais c'est un fait. Il a peur. De quoi ? De beaucoup de choses. Auparavant, il avait peur des insectes, de la saleté, de choses futiles. Maintenant, il préférerait une armée de cafards à un seul mutant, aussi faible soit-il. Il a peur de s'éteindre. Il a peur de perdre des proches. Il a peur d'être infecté. Il a peur de devoir enterrer quelqu'un. Il a peur de voir des camarades mourir sous ses yeux et, impuissant, devoir s'enfuir. Ce n'est peut-être pas vraiment évident quand on le voit, mais si on fait attention, on peut facilement voir ses genoux trembler lorsqu'un danger surgit.

De plus, et même s'il se donne un air impressionnant, il est facilement impressionnable. Soyez plus grand, plus imposant, plus oppressant que lui, et il n'ira jamais à votre encontre. Il fuit tout conflit, préférant observer de loin. Cependant, et malgré les mauvaises influences sous lesquelles il réfléchit parfois, il essaie d'être toujours droit et juste dans ses choix et ses décisions. Il déteste les injustices et essaiera toujours d'aider au mieux. Malgré cela, son manque de confiance en lui et sa peur constante du danger lui empêchent la maîtrise totale de sa mutation. Eduard est en effet doué du don d'électrokinésie, qu'il utilise le moins possible. Il en connait les limites, et elles lui font peur. Ainsi, et de part son inutilité constante au front, il aime penser qu'il peut aider en arrière plan, lorsqu'il s'agit de prendre des décisions. Cela peut toutefois lui être fatale, car une mauvaise décision est souvent autant, voire plus mortelle qu'un geste incontrôlé dans un combat.

Mais malgré tous ces défauts, Eduard sait rester digne. Il fait toujours de son mieux, et ne veut décevoir personne. Il fait en sorte de ne jamais paniquer, et est toujours présent lorsqu'il faut prêter main forte à quelqu'un. Il est souriant, et se charge de rassurer ses plus jeunes et / ou sensibles camarades. Il n'a pas perdu la foi, et croit dur comme fer qu'un lendemain nouveau attend cette planète et ses habitants.

Lorsqu'on est une Nation, on est supposé vivre longtemps. On traverse les âges, les époques, les ères. On voit son peuple avancer, ses villes se bâtir. On essuie des batailles, subit des guerres. On se relève, comme on le peut. Eduard a vu son pays prospérer. L'Estonie, depuis son détachement de l'URSS, fût la plupart du temps un endroit paisible, sans guerre, sans conflit. Si on oublie les nombreux refus du cercle nordique de l'intégrer à celui-ci, il était vraiment satisfait de ce qu'étaient devenus son peuple et sa culture. Jamais, ô grand jamais il n'aurait douté de ce qui allait se produire.

Eduard fût affublé d'une mutation, tout comme le reste de son peuple. L'Estonien essaya à plusieurs reprises de s'en servir, de condenser toute cette électricité qui parcourait son corps aussi vite que des parasites prolifèrent. Souvent, de violentes migraines suivaient ces expériences, et il s'est souvent retrouvé avec les paumes de ses mains brûlées. Il comprit que ce pouvoir avait une limite, et qu'au dessus d'une certaine puissance, il n'en ressortirait pas indemne. De par sa faible consistance physique, son manque de pratique et sa peur d'être blessé, il décida de ne pas s'en servir, hors situations d'urgence. Ainsi continua-t-il sa petite vie, ignorant l'électricité qui sommeillait en lui. Quelque part, il admirait ces autres Nations, qui manipulaient le leur comme s'ils l'avaient depuis la naissance, ou qui s'entrainaient dur pour arriver à ce stade. Il pensait qu'il ne leur arriverait jamais à la cheville.

Quand, l'année suivante, il vu les nouvelles sur la contamination aux Etats-Unis et plus tard, dans l'Amérique toute entière, il était certes, inquiet, mais il ne pensait pas que ce fléau gagnerait l'Europe aussi rapidement. Il n'aurait pas crû que ces créatures traverseraient les océans, ou tout simplement que la mutation proliférerait au sein même des pays européens.

Les frontières estoniennes furent rapidement gagnées, et un vent de panique souffla sur le pays. Il tenta tant bien que mal de protéger au maximum sa population, mais le niveau de menace en ses terres augmenta, et il fût contraint de les abandonner. De partir. Comme un lâche. C'est ce qu'il pensait. Lorsqu'il était seul, et qu'il n'avait pas à rester digne, fier, à camoufler ses sentiments, Eduard pleurait. Silencieusement. Serrant tout ce qui lui restait contre lui - son laptop. Il avait un petit sac remplit de quelques objets divers. Très peu pour survivre longtemps. Parcourant les territoires dévastés, il était perdu. Son esprit était embrumé. Il ne savait plus vraiment dans quelle direction il allait, vers où, dans quel but.

Au cours de son périple, il entendit les rumeurs sur une Base dans laquelle il y aurait des survivants, en Italie. Voyant en ces dires un nouvel espoir de s'en sortir, Eduard essaya de s'en approcher, de l'atteindre. C'est après plusieurs jours à se cacher, éviter les mutants, ruser pour ne pas se faire voir, qu'il y arriva finalement. En poussant les lourdes portes de la structure, un immense sentiment de bonheur l'envahi. Pour la première fois, il était soulagé. Pour la première fois depuis le début de tous ces malheurs, il était rassuré, et heureux. Heureux de ne plus être seul, et d'avoir cet ultime espoir auquel s'accrocher.