« L'appétit vient en mangeant ? Non. »

Chow Down | ft Canada

Midi sonnait. Enfin, on pouvait l'imaginer. Rien ne sonnait à des kilomètres à la ronde, c'était le silence. Un silence pesant et aliénant, aucun bruit. Certains pouvaient trouver cela reposant, il n'en était rien pour Nothembi, elle avait besoin de bruit.
C'était aussi censé être le moment auquel le soleil atteignait son paroxysme. Les nuages cachaient l'astre solaire, c'était impossible à voir. Nuages, brouillard, froid. Bienvenue en Europe. Hogsback sous la neige était bien plus chaleureux que cet endroit.

Elle avait le regard rivé vers le ciel, les nuages, serrée dans son sweat-shirt. Elle prenait l'air. Enfin prendre l'air, c'était une façon de parler. La cour intérieure de la base était entourée par quatre murs. Elle n'était pas grande et cela était étouffant à la longue. Après tout, quand on était, comme la Sud-Africaine, habitué à de grands espaces qui s'étalent à perte de vue, on était vite fatigué par ce genre d'endroits.
Mais il fallait faire bon gré mal gré. La vie à la base n'était pas si mal, il fallait se dire ça.
Bon il faisait froid, le temps était déprimant, il n'y avait aucune nouvelle d'Afrique du Sud et certaines personnes étaient difficiles à supporter. Mais à part ça...
Sans oublier la Bête qui s'agitait parce qu'elle ne bougeait pas assez. Enfin... ça pouvait passer. Il y avait un but à atteindre, ce n'était facile pour personne mais il fallait faire avec.

Son estomac gronda bruyamment. Bon. Elle n'était plus qu'à un repas par jour et elle avait tendance à manger correctement le soir. Il fallait que Nothembi mange parce que sinon, la Bête avait tendance à se manifester et bien...
Une fois elle avait remarqué Gilbird, elle avait faim et s'était mise à attaquer les gens de la base. Après ce fâcheux événement, on pouvait dire que le reste de la base veillait au grain pour que cela ne se réitère pas. Un fauve affamé en furie n'était pas facile à gérer et pouvait causer des blessures que l'on pourrait bien éviter.

A dire vrai, elle avait été dégoûtée de manger pendant un moment. C'était en rapport avec sa mutation. Elle qui était une très bonne mangeuse avant tout ça, dotée d'un appétit gargantuesque. Toute cette situation l'avait changée. Dégoûtée de la nourriture en laquelle elle voyait des corps humains, elle s'était mise à jeûner pour ne manger que tous les quatre ou cinq jours. Evidemment c'était dangereux. Mais avaler un repas consistant pour ensuite le rejeter... ça en revenait au même.

Néanmoins, elle avait réussi à se réconcilier avec la nourriture. Le processus avait été long et laborieux et peu orthodoxe, se forcer à manger n'étant pas la meilleure des solutions, mais le résultat était là.
A propos de difficultés avec la nourriture. La Sud-Africaine baissa les yeux et vit le Canadien dans la cour par un heureux hasard, elle s'en approcha.

« Sawubona Canada ! Tu vas bien ? »

le salua-t-elle avec un sourire chaleureux.

Il lui avait récemment parlé de ses problèmes avec la nourriture et la Sud-Africaine était bien disposée à l'aider pour ça. Après tout, ils étaient dans la même galère, c'était normal de s'entraider. Surtout quand on était dans la même base, loin de chez soi et que l'on possédait des problèmes similaire.

« L'appétit vient en mangeant ? Non. »

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Le Canadien était quelqu'un de discret. De trop discret certainement. Il y avait de bons et de mauvais côtés à ce trait de caractère...
C'était sans doutes du fait de son introversion que parfois il avait tendance à se laisser marcher sur les pieds. Il fallait vraiment remédier à ce genre de choses. Il ne fallait pas qu'il se laisse influencer par d'autres personnes quant à ses choix et par rapport à ce qu'il faisait. Il devait se faire respecter aussi. Ainsi, quand il avait parlé à Nothembi du gavage qu'il subissait de la part d'Irlande et d'Etats-Unis, cela avait fortement déplu à la jeune femme.
D'une, il était une nation souveraine et devait rester libre de ses choix sans qu'une autre lui oblige à faire quoi que soit.
De deux, pour son cas, le gavage n'était absolument pas la solution. Il y avait plus de chances qu'il soit davantage dégoûté de la nourriture. C'était même certain.

Nothembi était loin d'être quelqu'un de discret. Elle était au contraire d'un caractère de feu. Impulsive, passionnée. C'était une ancienne guerrière après tout, même si elle s'était grandement assagie.

« Lekker lekker comme toujours. »

répondit-elle en riant.

Certains la qualifiaient de "rayon de soleil". Elle dégageait cette image de chaleur propre aux gens du Sud. Elle riait et souriait souvent, dévoilant de belles dents blanches et brillantes qui tranchaient avec sa peau sombre, cela remontait le moral des troupes. Il ne fallait en aucun cas que la déprime et le sentiment d'abandon règnent dans la base, à l'heure où le glas du monde qu'ils connaissaient jusqu'à présent sonnait.
Trouver la lumière dans les pires drames qui soient, continuer à lutter... S'il y avait quelque chose que la Sud-Africaine pouvait apprendre aux autres, c'était ça.
C'était assez drôle quand même, elle qui s'appelait "Nothembi".
"Foi" en Zoulou.
Comme quoi les noms africains reflétaient bien comment était une personne. Nelson Mandela s'appelait bien Rolihlahla, "Fauteur de troubles" en Xhosa. Il avait bien causé des torts au gouvernement durant l'Apartheid, pour la bonne cause cependant.

Elle s'étira longuement et grogna. Elle était semblable à un félin dans ses gestes, sa démarche, il était impossible de le nier. Très féminine, comme les femmes fatales des œuvres de fiction.

« J'irai bien à la cuisine prendre un truc... Tu veux venir ? »

Il fallait le faire manger, mais doucement. L'inciter à avaler quelque chose, mais avec douceur. La force brute ou la menace n'étaient pas des solutions envisageables, d'où l'emploi du verbe "vouloir". Une proposition était faite et non pas un ordre.
Nothembi n'était pas une tortionnaire. Elle ne connaissait ce que le Canadien traversait que trop bien et il fallait le réconcilier avec la nourriture. Bien évidemment, elle n'allait pas employer la méthode qu'elle avait appliquée pour elle-même.
Il était de notoriété publique que la Sud-Africaine était très dure avec elle-même et cela se voyait assez. Dans les paroles qu'elle se destinait, dans ses gestes. L'on pourrait qualifier sa conduite de "masochiste" même si elle ne prenait aucun plaisir à  le faire.

Après tout, elle faisait passer les autres avant elle, malgré tout ce qu'elle pouvait dire.

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Le Canadien accepta la demande. Son sourire s'agrandit.
Le fait que l'Américain (au sens continental du terme, évidemment) n'avait pas décliné la proposition était la preuve que cette méthode utilisée par Nothembi marchait et était bien plus efficace que les autres préconisées par sa "famille".
Nothembi ne doutait pas qu'elle savait y faire et cela nourrissait son orgueil de manière assez conséquente.
Orgueilleuse, fière. C'étaient bien là des adjectifs qui la caractérisaient. C'étaient sans doutes ses principaux défauts. Personne n'était parfait après tout.

Une fois qu'ils étaient dans la cuisine, elle remplit la bouilloire d'eau pour se faire du thé. Elle aurait préféré du rooibos, fierté nationale et goûts personnels obligeaient, mais on faisait avec ce qu'on avait. Ce n'était pas le moment de faire la difficile.
Elle cherchait dans les placards et trouva un morceau de pain, assez dur, qu'elle cassa en deux. Elle mit le morceau le moins grand dans sa bouche et posa l'autre devant le Canadien en faisant un clin d’œil complice et encourageant. Elle mangea son morceau en un laps de temps record et secoua ses vêtements, puis ses mains.

« Tu veux du thé ? »

demanda-t-elle.

Elle s'en préparait pour elle, elle devait bien lui proposer. Une fois l'eau mise à chauffer, Nothembi se posa contre les plans de travail, les bras croisés et regardait le Canadien avec un sourire chaleureux.

« "C'est gentil de faire ce que tu fais. Peu de gens le ferait" »

Les yeux miel s'écarquillèrent et l'Africaine éclata d'un rire chaleureux. Loin de se moquer, elle était amusée.

« C'est normal tu sais ! »

Elle disait toujours ça. Que c'était "normal".
Elle était optimiste. Pour elle tout le monde était capable de faire preuve d'un tel altruisme, d'un tel amour pour le genre humain. Amour qui avait été préconisé par Mandela.
Bien évidemment la vérité était toute autre et en pratique, la Sud-Africaine, en tant qu'ancienne combattante, gardait des traces de ce passé assez tumultueux. L'Apartheid était encore récent après tout et la Bête avait fait d'elle une femme encore plus nerveuse qu'elle ne l'était déjà et bien moins patiente qu'avant. Il était donc normal qu'elle se mette à criser loin des yeux de tous alors que devant tout le monde, elle semblait faire preuve d'une certaine maîtrise d'elle-même.

« L'appétit vient en mangeant ? Non. »

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Nothembi ne se rendit compte que trop tard que le Canadien pouvait être dégoûté des boissons. Elle lui avait servi le thé chaud dans une tasse avant de se servir elle même. La cuisine fut embaumé de l'odeur du thé. La Sud-Africaine prit sa tasse fumante et appréciait le contact de ses doigts sur la céramique qui se réchauffait à vive allure avec le liquide bouillant qu'elle contenait. Elle tilta à ce moment là.
Le thé ne ressemblait pas à du sang. Elle avait suffisamment vu de massacres pour déceler la différence sous toutes les formes. D'un point de vue physique, le sang était plus visqueux déjà. Ensuite l'odeur était bien différente, cette senteur métallique que dégageait le sang était bien différent de celle, délicate du thé. Sans parler de la différence de couleur qui est bien évidente.

Mais s'il y avait eu traumatisme, il était probable que le Canadien ne voie plus ces différences. Fort probable. Il ne valait mieux pas le brusquer. Elle n'allait pas lui en parler sous peine de faire resurgir tout à coup sûr. Elle ne dirait rien.

Elle se contentait de boire son thé. L'observant de ses yeux miel. Elle le toisait dans le but de voir comment est-ce qu'il réagissait. C'était important et les gestes étaient souvent bien plus révélateurs que les paroles. Elle avait l'habitude de s'attarder particulièrement à l'attitude, au physique, plutôt qu'à ce qu'on prétendait par voie orale. Cette dernière était trompeuse puisque l'on pouvait plus ou moins aisément dire des mensonges. Un corps au contraire, ne ment pas.

« Tu n'es pas obligé de finir tu sais. Ne te force pas. Prends ce que tu peux. »

Elle insistait là-dessus, mais il fallait absolument que l'Américain y aille à son rythme. Il ne fallait vraiment pas qu'il se rende malade ou se dégoûte pour de bon de la nourriture et de la boisson.

« J'ai toujours raison. »

Son sourire s'était transformé en rictus arrogant. Mais il était évident qu'elle plaisantait. Nothembi disait cette phrase assez souvent, en général cette expression lui permettait de voir si la personne en face était du genre introvertie ou extravertie selon la réaction provoquée.
Mais cela permettait surtout de rire un bon coup et de penser à autre chose. La Sud-Africaine, en très bonne vivante, aimait plaisanter, rire, sourire. En ces jours troublés surtout. Elle aimait faire n'importe quoi de temps à autres pour se vider l'esprit. Depuis qu'elle était à la base, elle le faisait souvent avec Croatie lorsqu'ils étaient seuls tous les deux. Ça leur permettait d'oublier un peu leurs mutations, particulièrement contraignantes.

Une solution allait être trouvée, elle en était certaine. Il suffisait d'attendre un peu et de continuer à se battre.

« L'appétit vient en mangeant ? Non. »

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Le Canadien but un peu de thé. Il arrêta vite.
La Sud Africaine le surveillait faire. Le traumatisme devait être important puisqu'il avait détourné les yeux de la tasse. Elle esquissa un sourire réconfortant et empathique pour lui dire que tout allait bien, qu'il n'avait pas à s'en vouloir de ne pas faire plus, que ça allait s'arranger et qu'il devait continuer à le faire fréquemment pour pouvoir se réconcilier avec la nourriture.
Elle avait fini de boire sa tasse, elle la tournait dans ses mains, entre ses doigts oblongs.

« C'est déjà bien ! »

Il fallait l'encourager, positiver. Le forcer à finir la boisson ne servait à rien sinon à le faire se braquer. Il ne fallait pas que ça arrive, l'enfermement sur soi n'était pas la solution à adopter en ces jours troublés. Loin de là. Bien entendu, l'on pouvait savoir se débrouiller seul. Mais dans le cas du Canadien, ce n'était pas le cas, il avait besoin de soutien et puisque sa famille ne lui donnait pas celui nécessaire, Nothembi avait décidé de s'en charger. Elle comprenait ce qu'il traversait, que trop bien, et il n'avait pas eu besoin de s'expliquer. S'il l'avait fait, il se serait davantage senti mal.

« Si tu en as envie, tu pourras reprendre la tasse tout à l'heure ! »

Les mots étaient d'une importance capitale dans ce genre de situations. La Sud-Africaine les choisissait avec soin. Bien entendu, il y avait des fois où elle échouait parce que les mots choisis n'étaient pas les bons ou ceux qui étaient les plus adaptés à la situation.
Comme tout le monde, il y avait des failles. Elle restait humaine. Mais ses failles, elle ne les montrait pas. Par fierté. Après tout, elle avait dû se débrouiller par elle-même avec l'Apartheid, la communauté internationale n'avait rien fait pour arranger la situation.
En marge du monde, voilà comment on pourrait décrire sa position internationale pendant ces nombreuses années.
En conséquence, Nothembi ne voulait plus que quelqu'un ressente cela ici, à la base. Il fallait impliquer tout le monde, que tout le monde se sente chez soi ici, même à des kilomètres de son pays natal.
Il était nécessaire que tous se sentent le mieux possible et qu'il y aie le moins de problèmes possible.

« Non mais je plaisantais ! J'ai souvent tort ! »

Elle éclata de rire. Un rire chaleureux, pour détendre l'atmosphère, pour faire penser à autre chose qu'aux difficultés de s'alimenter parce qu'on a fait des horreurs par le passé.

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Elle esquissa un sourire chaleureux quand le blond se mit à rire à son tour. Rire faisait énormément de bien, mais en ces temps apocalyptiques, il était de plus en plus ardu de le faire, pourtant ça pouvait remonter aisément le moral de tous si du temps était pris pour cette activité.

« Bah. J'ai pas plus raison qu'un autre. »

rétorqua-t-elle avec un grand sourire.

Le sourire de Nothembi mourut quand elle le vit reprendre la tasse pour boire de nouveau. Il se forçait. Elle ne pouvait pas y dire grand chose puisqu'elle avait elle-même utilisé cette technique. Elle grimaça en le regardant faire. Elle s'approcha, prit la tasse et lui tapota l'épaule dans un geste réconfortant ou qui se voulait ainsi. Il lui sembla que le canadien avait pâli et s'apprêtait à vomir.

« C'est bien ! Lekker ! Mais c'est risqué tu sais. »

Elle lui sourit et alla vider la tasse dans l'évier. Elle s'étira longuement et ses os craquaient de concert et de manière assez bruyante. Nothembi grogna et se massa l'omoplate en grimaçant. Elle allait sortir. Ça lui ferait du bien. Et peut-être allait elle chasser en même temps. Quelle heure devait-il être ? Une heure de l'après-midi passée sûrement...
Bah elle avait le temps de faire un tour, juste pour libérer la Bête, jusqu'au soir au moins, et sachant que le soleil se couchait tôt dans l'hémisphère nord à cette période de l'année, elle ne devait pas trop tarder. Il valait mieux éviter que la Bête sorte la nuit pour le moment, il faisait trop froid et la nuit, la Bête était la plus incontrôlable, c'était un animal nocturne après tout.

« Je vais devoir te laisser, j'ai des trucs à faire ! On remettra ça si tu veux. T'as fait du bon boulot aujourd'hui ! On se rapproche du but. »

Elle sourit et leva le pouce à sa dernière phrase et se dépêcha de quitter la cuisine. Moins on faisait attendre la Bête pour sa promenade, mieux c'était.