Inspirer. Expirer. Recommencer encore et encore. Ne pas perdre le rythme. Ne penser à rien d’autre. Inspirer. Expirer. Trop tard, la fatigue est trop grande, s’il continue ce qui lui sert de corps ne tiendra pas deux heures. Il faut qu’il se trouve un abri pour la nuit.
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Il était tombé sur une carcasse de voiture et s’était installé dedans pour la nuit. Au moins il aura un toit ce soir. Allongé sur la banquette arrière il ne trouve pas le sommeil. Beaucoup de pensées s’entrechoquent dans son esprit, les souvenirs affluent, parfois tendres, parfois douloureux. Il pense à son frère, à ses amis. Tout ça lui parait tellement loin. Dans sa main, il tient croix nordique. Il la sert doucement. Il se souvint de tout.
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Il se souvient parfaitement de la première fois où il a entendu parler des recherches menées par les américains. C’était après une réunion mondiale et il était entouré de la plupart des autres nordiques. Amérique se vantait d’un projet incroyable sur lequel se penchaient ses plus grands scientifiques, des spécialistes de la génétique, entre autre. Le but était simple : modifié la structure génétique de l’homme afin de lui faire acquérir des compétences hors du commun.
Lukas n’avait pas vraiment sut comment réagir à cette nouvelle. Il avait été sceptique. Modifier le patrimoine génétique d’un humain ? C’était dangereux... De plus, tout ça pour obtenir plus que ce dont ils avaient réellement besoin. Certes il comprenait que les hommes veuillent se sentir différents, plus spéciaux et moins banals mais était-ce vraiment une solution ?
Après tout, peut-être que ces modifications pourraient grandement faire avancer la science ? Cela ne pourrait-il pas amélioré le monde ? Mais cela ne mettrait-il pas la vie de centaines de millier d’hommes en danger ? Et puis ils y auraient des tests à faire. Sur des animaux ? Sur des hommes ? Et la bioéthique dans tout ça ?
Le débat faisait rage avant même que de vrais mesures aient été prises : certaines nations étaient pour, souhaitant avoir eux aussi leurs propre caractéristique, leurs propre mutation, d’autres étaient contre, arguant que ce n’était pas naturel, que tout cela allait dégénérer rapidement. Cependant, la plupart se rangeaient dans le même camp que lui sur le sujet: celui de l’indécision.
Pourtant il y avait une part de ressentiment. Plutôt personnel, le ressentiment. Si il ne se montrait pas insensible à ces histoires de mutations, c’était aussi parce qu’il sentait un pointe de jalousie au fond de lui. Avec sa magie, beaucoup le considéraient déjà comme spécial. Il était quelqu’un de différents et il aimait le statut que cela lui donnait. Si toutes ces histoires de modifications génétiques prenaient forme, garderait-il le même statut qu’avant ? Ne serait-il pas dépassé ? Ne deviendrait-il finalement pas quelqu’un de banal ? Son orgueil, sa fierté en prenait un coup. Et cela le tourmentait bien plus qu’il voulait l’avouer.
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Il se souvient parfaitement du moment où a première modification génétique avait été effectuée sur un être humain. Désormais, cet homme possédait une mutation. D’autres avaient suivis de peu, les personnes mutées devenant extrêmement populaires autours de la terre entière. Une nouvelle forme de célébrité, en quelque sorte. L’adoration qu’ils provoquaient chez les gens était vraiment impressionnante, si bien que l’on vit rapidement des citoyens dépenser tous leur argent dans le but de subir cette fameuse opération et parvenir à attirer l’attention d’un maximum de personnes.
Cet engouement général pour la modification génétique ne chuta pas, au contraire, mais se modifia avec le temps. Comme toute création extrêmement coûteuse au départ, le prix de l’opération diminua assez rapidement, devenant par la même occasion une intervention chirurgicale tout aussi commune qu’une opération de l’appendicite.
En à peine quelques années, une majeure partie de la population se retrouva mutée. Les premières « stars » sombrèrent dans l’oubli général, tel un participant de télé-réalité et les mutations devinrent un « plus » de la vie quotidienne.
Lukas avait terminé par plus ou moins les accepter. Le monde avait changé, il fallait bien s’adapter, après tout, c’était la loi de l’évolution : « adapte toi ou meurt » (bien que le « meurt » ne soit qu’une image à ce moment-là »). C’est à peu près à cette période que tout bascula pour le norvégien.
Comme chez toutes les autres nations, une majeure partie de sa population avait été mutée. Lui n’avait jamais demandé à l’être, cependant il gardait un œil sur son peuple et ce qu’ils faisaient de cette révolution génétique. Il fut d’une certaine manière surpris de constater qu’une grande partie des norvégiens affichaient une « préférence » en matière de mutation. En effet, un grand nombre d’entre eux choisissaient la télépathie. Lukas trouva cela plutôt amusant. La télépathie servait, entre autre, à communiquer. Et les norvégiens n’étaient pas réputés pour leur sociabilité (lui-même étant un bon exemple). Il caressa un moment l’espoir que son peuple s’ouvre un peu plus aux autres et il trouva finalement que ces modifications n’étaient pas si mal que ça.
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Et puis il y eu cet après-midi ou un des ministres était entré dans son bureau alors qu’il était occupé. Il se rappelle vaguement l’avoir écouté, d’une oreille seulement, et de lui avoir répondu de manière évasive. A la fin de la conversation, le ministre, sceptique, avait dit quelque chose du genre « je reviendrais plus tard.. » avant de rajouter « Mais… quand vous êtes-vous fait opéré pour posséder votre mutation ? ». Lukas se souvint avoir lentement levé la tête de sa paperasse et d’avoir lâché un « Pardon ? ». Son ministre avait été comme extrêmement gêné. « Votre mutation, monsieur…Vous n’avez pas ouvert la bouche... Vous venez d’utiliser la télépathie... ». Il s’était sentit étrange à ce moment-là et avait demandé à l’homme de sortir. Après une phase d’incompréhension totale, de refus, de dénis, de colère en sourdine, il finit par accepter. C’était comme faire le deuil de son ancien lui en fait.
En y repensant, le norvégien se dit qu’il n’avait pas été vif sur ce coup-là. Il représentait son peuple. C’était tout à fait normal qu’un jour ou l’autre il se retrouve muté, qu’il le veuille ou non. Il s’en voulait un peu d’avoir été surpris de la sorte.
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Si c’est à ce moment-là que tout avait changé pour lui, il allait de même pour son peuple. Lukas avait espéré une plus grande ouverture sur le monde grâce à la mutation mais il n’en fut rien. Finalement, ça aussi c’était prévisible : qui ferait confiance à quelqu’un capable de lire de vos pensées ? Les commerciaux commencèrent à cesser leurs activités ou du moins, à la réduire considérablement. La diplomatie devint beaucoup plus délicate également. Mais ce ne fut pas tout. De nombreux « règlements de comptes » eurent lieux à travers le pays. Parfois il vaut mieux ne pas connaitre la pensé la plus profonde des gens. Les esprits s’échauffais et une sorte de mauvaise humeur générale se mit à planer sur le pays alors que quelques années plus tôt il était le pays avec les citoyens les plus heureux du monde.
Si l’Espagne était désormais connu pour ses « Hommes-fleurs », l’Allemagne pour ses hommes « indestructibles », la Norvège devenait de plus en plus célèbre pour sa population antipathique, peu digne de confiance et violente. Le pays se renferma un peu plus sur lui-même, Lukas avec bien entendu. Ce fut beaucoup plus éprouvant qu’il ne le laissa paraître.
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Il se souvient du moment où il s’était dit « Ça y est. Tout ça a dérapé ». Il y avait eu cette créature aux Etats-Unis qui s’était attaquée à des gens et qui était bien trop humaine au goût de certains. Et au goût de Lukas aussi. Un climat d’inquiétude s’installa un peu partout. Les gens n’étaient pas complètements idiots et se doutaient bien que tout ça avait un rapport avec les mutations
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Plusieurs cas similaires avaient été constatés à travers les Etats-Unis. Certaines personnes tentaient de calmer le jeu en prétendant que les mutations n’avaient rien à faire là-dedans. Peu de personnes étaient dupes mais toutes espéraient que c’était la vérité.
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Le phénomène s’était propagé. Beaucoup de ces créatures, ces « zombies » comme certains s’amusaient à les appeler, avaient semées la terreur en Amérique du Nord.
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Ils avaient ensuite donnés un nom à ce phénomène : SDG, Syndrome de Dégénération Génétique. Comme si nommé la chose allait la détruire.
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Il se souvient quand s’était arrivé en Europe. Plusieurs personnes en Norvège étaient contaminées, notamment à Tromsø. La panique générale régnait sur la ville. Lukas s’y rendit pour organiser la mise en place de centre de mises en quarantaines. Ce qu’il y vit le désola. Les norvégiens atteints de SDG n'était plus que des créatures sans âmes, sans conscience, avides de sang.
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Le phénomène prit encore plus d’ampleur, maintenant il ne s’agissait plus d’isoler les personnes potentiellement contaminés mais d’évacué les survivant. La ville n’était plus qu’un champ de ruines. Et les mutations dégénérées proliféraient dans d’autres grandes villes proches comme Harstad ou Narvik. Il était persuadé que beaucoup s’étaient rendues en Suède également. Il avait eu une pensé pour Berwald à ce moment-là. Dans les dernières nouvelles qu’il avait reçu du pays voisin, il avait appris que lui aussi se battait contre ce nouveau genre d’épidémie.
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Plus aucunes nouvelles du monde ne lui était parvenues depuis des semaines. Radios comme télévisions ne diffusaient que des grésillements et de la neige. Quand elles daignaient s’allumer. Toutes les grandes villes étaient tombées ou presque. Il avait entendu dire qu’à Lillehammer un groupe de survivant se rassemblait. Il avait décidé de tenter le tout pour le tout et d’y aller. En chemin il rencontra un groupe d’une dizaine de personnes se rendant au même endroit. Des norvégiens mais également trois suédois et une femme originaire de Finlande. Ces derniers furent surpris de croiser une nation encore dans les parages. Ils firent le voyage ensemble.
Celui-ci fut long et exténuant, la neige les empêchant de parcourir de longues distances d’une seule traite et il n’était pas rare que l’un d’entre eux tombe de fatigue au milieu du jour. Leurs horloge biologique était complètement déréglées et parfois il marchait jusqu’à minuit sans s’en rendre compte à cause du soleil encore bien présent dans le ciel. Mais plus ils allaient vers le sud, plus le phénomène se raréfiait provoquant chez eux un soulagement important. Le danger les rattrapa bien vite. Après des semaines d’isolement, à pratiquer dans des chemins escarpés et à éviter au maximum les grandes villes ils rencontrèrent de nouveaux des mutations. Ils furent pris par surprise et une bonne partie du groupe y perdit la vie.
Les survivants arrivèrent Lillehammer. Il ne restait presque plus rien de la ville, comme partout ailleurs. Il y avait bien une base de survivant mais d’à peine cents personnes.
La vie dans cette base était rude. La nourriture était tellement rare que certains se battaient et tuaient pour une boite de conserve et ou paquet de gâteaux périmés. L’eau était ce qui manquait le plus et boire la neige n’était pas une solution. Même une fois fondue elle provoquait des problèmes de santé chez les hommes car déminéralisée. La situation dans cette base devenait critique.
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Il se souvient que du jour au lendemain il avait quitté le camp. Pourquoi ? Il ne supportait plus cette situation. Voyager lui donnais au moins l’impression de faire quelque chose. Il en rencontra, des créatures sanguinaires, tout comme il en rencontra de pauvres hommes, femmes, qui venaient de contracter le syndrome. Il eut l’impression de mourir plusieurs fois. Il devenait de plus en plus faible avec le temps. La faim. La soif. Les combats. Les blessures. Les fuites. Et puis il y avait la magie. Ou plutôt, l’absence de magie.
Désormais, il distinguait à peine les quelques créatures surnaturelles qu’il croisait. A moins qu’il ne les ait croisés mais pas remarqués ? Il ne savait pas vraiment et en était terriblement inquiet.
Et puis il n’arrivait même plus à invoquer son troll. Parfois, sous le coup d’une forte émotion il réussissait à produire une vague d’énergie magique mais ça ne durait jamais bien longtemps et il se sentait tellement vide après qu’il redoutait à chaque fois le moment où cela se reproduirait. Il commençait à craindre la magie et il détestait ça. C’était comme renié ce qu’il avait toujours été, ce en quoi il avait toujours crut, ce de quoi il avait toujours été tellement fier. Il sentait la magie le quitter petit à petit, emportant avec elle une partie de son énergie vitale. Il s’affaiblissait de jour en jour en grande partie à cause de ça et il ne se sentait plus complet comme avant.
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Il se souvient qu’un jour, il était tellement épuisé qu’il s’était évanouit au bord d’une route. Lorsqu’il se réveilla, il vit un visage penché sur lui. Un vieillard qui l’avait trouvé allongé sur le bas-côté et qui l’avait recueilli et soigné malgré le peu d’eau, de nourriture et de matériel de soins qu’il possédait. Il passa quelques jours en compagnie du vieil homme. Ce dernier lui expliqua qu’il avait voyagé pendant des mois et des mois avant de s’établir ici, trop lasse pour continuer. Et puis un jour il demanda si Lukas allait lui aussi à Milan. Voyant l’incompréhension du norvégien, il lui parla de la fameuse base ou la plupart des nations semblait se rendre. Lukas vit trouble. Les autres nations s’y rendaient ? Islande y serait surement ! Et Danemark, Suède et Finlande aussi... C’était une évidence, il devait y aller. Il ne souhaitait qu’une chose : tous les revoir. La nation remercia le vieil homme et laissa, à contre cœur.
Ainsi commença le voyage de Lukas jusqu’à la ville italienne. Ce fut le début de plus long périple qu’il ait fait jusqu’à maintenant.
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Il serre toujours sa croix entre son poing.
Il n’a plus qu’une envie maintenant. Dormir. Pour la première fois depuis bien longtemps il se sent un peu heureux. Milan n’est plus qu’à quelques kilomètres.